ARIETTA ... (petit air d'opéra pour moi)
L'écriture musicale de Marc Dugardin n'est jamais loin de mes préférences de lecture à certains moments de ma vie. Il a la sensibilité et la focale délicate que j'apprécie chez celles ou ceux qui regardent ailleurs que dans leur seule détresse ordinaire et qui épargnent aux autres celle plus profonde de l'humanité entière. Pour autant, les pleurs d'une petite fille ne le laisseront jamais de marbre, et il a su transmettre à son fils Antoine, dans ce livret carré, quelque chose de très subtil et mystérieux dans l'approche photographique du réel. Le passant devient le chorégraphe d'une méditation inattendue sinon inédite.Quelque chose d'éphémère qui prend sens. On ne sait jamais exactement ce que l'on voit même lorsque les yeux ralentissent à l'extrême pour figer subrepticement leurs captations. C'est le fait exprès, expressément choisi.
En noir et blanc , on voit mieux les nuances, les contrastes avoués. Une rambarde solide en fer forgé, une fenêtre , une étrange ambiance, presque fictives... Une silhouette aux couleurs papier mouillé, éponge souillée, une musique consolante toujours présente, instrumentale volontaire, peut-être à regrets. La parole incisive n'a plus cours... comme pour ne pas avoir à choisir des mots malhabiles...sous dimensionnés. C'est une hypothèse...
Et pourtant le récit affleure, il indique la grande impuissance du malheur consommé, le courage de garder les yeux ouverts comme des bras prêts à cueillir n’importe quel corps tuméfié ou déserté par le souffle. L'instant de la désolation et du constat s'éternise. C'est le moment pur et paradoxal du recueillement qui devrait remplacer l'inattention et pire l'indifférence.
Je pense à Ernest Pignon Ernest ,
Ernest Pignon Ernest - L'avortement
Je pense à Andrée Chedid dans son roman- poème l'Autre :
« Simm tâche d’écouter les moindres sons produits par Jeph et de recevoir les messages les plus imperceptibles envoyés par lui. Il est toujours prêt à l’écoute.
- Comment fais-tu pour entendre toujours ?
Je reste tapi dans mon oreille. »
Je pense à tout ce que nous regardons en restant sans voix autour de nous, et qui épuise notre patience, notre sagesse égarée aussi.
Je pense à Marc, ce méditant inquiet qui me ressemble étrangement ... et dont je me sens proche même à distance, de longue haleine. Une sensibilité calme et anxieuse à la fois, qui voudrait accueillir plus et ne fait qu'attendre dans le présent ce qui importe. C'est pourquoi je lui dois une reconnaissance de type fraternelle et durable. Je me la confirme en lisant ceci :
« Un chant nouveau. Psaume 149. Allégresse, danse, tambour et cithare.
Épée à double tranchant.
Dans mon rêve cette nuit, une assemblée. J’y prêtais serment
la main posée sur une pierre, répétant les paroles que me dictait
un homme assis devant moi.
Et ce matin, je suis le scribe. C’est aussi simple que cela : ma main fait le geste d’écrire. Au passage, elle s’étonne, frémit, en transcrivant le mot âme, recueilli dans le rêve.
Âme, trois lettres qui ne pèsent pas plus lourd que les autres. Ou même qui ne pèsent rien du tout. Âme, comme ce qui échappe à la main du scribe, comme ce que la bouche a proféré dans la nuit, sans savoir ce qu’elle promettait . »
et aussi (pêle mêle et très logiquement)
Je n'écrirai pas de Requiem
Rien n'a été sauvé
Le rire d'un enfant il aurait traversé le jour, de toute façon
La mort a frappé. Intransigeante...
Il n'y a personne au bout de la prière
C'est pourquoi la confiance tremble
C'est pourquoi il arrive que des fenêtres s'ouvrent à notre insu
Je n'invente rien. Rien du tout. Tout, c'est ce à quoi je renonce.
Mon acharnement vient buter sur ta douceur
Car douceur est résistance
Les mères le savent tout ce sang qu'il a fallu ravaler
Il m'arrive aussi de m'inventer des petites soeurs
Celui qui écrit son rêve l'a acculé
Il était la monture de sa propre mort, ou c'est la mort
qui était sa monture. Tout se chevauchait.
Il a fallu que le matin le désarçonne
Je pense à Pascal QUIGNARD ( Les désarçonnés)
C'est un songe, la barque rompt ses liens, elle dérive. Je sens un
lien pourtant qui m'attache, et une main amie.
L'arbre, la barque, le visage de quelqu'un. Un oui prononcé
calmement. A quoi ai-je consenti ?
Je continuerai à écrire, avec dans la bouche un peu de poussière.
Un peu de salive aussi. Aussi longtemps que poussière, aussi
longtemps que salive
Pasacaille
Nul ne témoigne pour le témoin
Il lui a suffi d'avoir été vivant.
Ses yeux ont vu.
Son corps a subi.
Ça.
Que nos yeux ne peuvent croire.
Ça..
Il y a un silence là-dedans.
Un noyau de silence.
Avant d'écouter.
Après.
Que personne ne trahisse le témoin.
Psaume c'est seulement ce battement à ma tempe
Sauf que ce psaume me renvoie à ces discours religieux imprimés dans de vieux livres de messe, ils n’ont jamais eu vraiment d’impact dans mon esprit à cause de l’omniprésence de la contrainte à louer ce que je ne voyais pas.
L’instance spirituelle si elle est atteignable, ne peut pas à mes yeux être figée dans des livres, elle est relationnelle et déroutante en raison de son inconstance et de son lien contingent avec la projection imaginaire souvent mal arrimée et mal comprise . Les croyances sont des doudous un peu fous aux effets redoutables, ils génèrent des guerres, des affrontements , des misères morales et des blessures mortelles. La vraie spiritualité procède de la capacité à se mettre à la place de l’autre en toute circonstance et sans sentence définitive. Il s’agit d’apprendre à accepter, en miroir, la part de clarté et de noirceur intriquées avec l’espoir de les discerner. Il s'agit d'atteindre le vif échange tant qu’il est temps visant un certain apaisement réciproque aléatoire et provisoire. Un instant de grâce ? Psalmodier l’espoir est plus utile que psalmodier la louange. Mais mettre son espoir dans des chimères ne mène pas autre part que dans le vide et la dissolution du langage. Ecrire ce qui ne se dit pas. Dire ce qui ne s’écrit pas, quoi de plus contradictoire, quoi de plus démotivant. La séduction ne vaut pas pour ce genre de texte, il n’est pas prosélyte, il ne demande rien, il est gravé sur une stèle carrée et peu épaisse, il pourrait se glisser n’importe où dans un tiroir à souvenirs complexes. De ces « recès » dont parlait Charles Juliet lorsqu’il était jeune dans son journal. Trouvé créé le chant de la compassion.
Il m'est arrivé d'être né. D'être vivant. De regarder les vivants qui
passent encore dans la rue. D'entendre une canne frapper le sol.
Offrande éperdue de vivre. À l'inconnu de passage.
Photo remastérisée en tableau d'Antoine DUGARDIN
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TOUTES LES PHRASES EN ITALIQUES hormis la citation d'Andrée CHEDID de son livre L'AUTRE,
SONT PRÉLEVÉES DANS LE LIVRE DE MARC DUGARDIN
Une recension intéressante sur POEZIBAO ( Florence TROCMÉ) - ici !
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